
Image écornée, crédibilité déchue, perte de contrats, arrestation et emprisonnement, ses conséquences sont pernicieuses. Des individus critiqués, boycottés pour des propos ou actes jugés outrageants perdent gros et certains vont jusqu’au suicide.
Mike Adams, 55 ans, professeur de criminologie à l’Université de Wilmington en Caroline du Nord, athée converti au christianisme assez connu pour ses idées conservatrices, ses prises de positions polémiques et redouté pour son ironie mordante. Le 23 juillet 2020, il s’est donné la mort suite à une campagne d’harcèlement sur les réseaux sociaux et des menaces violentes en raison de ses nombreux tweets provocateurs notamment le dernier sur le confinement dans lequel il ironisait : « Ne fermez pas les universités. Ou alors fermez les départements non essentiels, comme les études féministes ». Il n’a pas pu supporter que la fureur publique le fustige et le qualifie de raciste et misogyne.
Une des nombreuses victimes de cette tendance inquiétante et de l’intolérance grandissante sur les campus universitaires américains : la cancel culture. Autres cas emblématiques : En 2013, cette professionnelle de la communication, Julie Sacco a vu sa vie ruinée après avoir tweeté : « Je pars pour l’Afrique. J’espère que je ne vais pas attraper le sida. Je plaisante, je suis blanche ! »
La célèbre auteure britannique J. K. Rowling, quant à elle, a été accusée de transphobie et complètement annulée par le groupe LGBTQ et de nombreux fans pour son soutien affiché à Maya Forstater, une chercheuse licenciée pour avoir affirmé que personne ne pouvait changer son sexe biologique. La cancel culture n’épargne personne et n’a pas de limite.
« Une logique d’attaque et d’adhésion contrainte », selon Yannick Chatelain
C’est une pratique qui consiste à dénoncer publiquement et à appeler au boycott des personnalités publiques, groupes ou institutions responsables d’actions, comportements ou propos jugés non conformes.
Appelée encore culture de l’élimination de personnes et d’organisations, la cancel culture considérée comme un lynchage en ligne, une lapidation publique se base essentiellement sur des attaques personnelles et une utilisation massive des réseaux sociaux contre toute personnalité publique ou organisation d’opinions contraires à celles des dénonciateurs.
« Cette culture ne tolère nul débat autre que l’adhésion tout en ouvrant la porte à la délation et à l’ostracisation », explique Yannick Chatelain, dans son article intitulé La « cancel culture » ou comment lyncher sans réfléchir sur les réseaux sociaux. D’après elle, la cancel culture « vise à faire adhérer des individus à une cause sous peines d’être soupçonnés de soutenir, voire d’être complice de ce qui est dénoncé ».
L’auteure cite l’exemple de l’ex-joueur de tennis français Yanick Noah qui force l’adhésion et la prise de position de sportifs blancs sous peine d’être considérés indifférents à cause de leur de peau différente, en déclarant regretter leur silence : « C’est bien que les jeunes s’en occupent mais moi ce qui me gêne c’est que ce sont tous des métis ou des noirs ».
Au nom du bien et de la vertu, risque périlleux
La cancel culture prétend agir au nom du bien et de la vertu, pour un monde meilleur sur des sujets sociétaux primordiaux. Ses adeptes se retranchent derrière une posture de « parangon de la vertu » pour fustiger et éliminer quiconque se rendant fautifs de selon leur grille de valeurs. Ce faisant, ils s’érigent en bourreaux plus cruels que les cibles qu’ils attaquent et se substituent à la justice.
Elle préoccupe tellement que l’ancien président américain Barack Obama s’est dit quelque peu inquiet à l’égard de ses filles sur les campus universitaires lesquels prônent désormais « le politiquement correct ». Pour une ènième intervention sur le sujet, l’ex président américain reconnait, dans une émission diffusée en 2019, que cette pratique peut causer de graves dommages.
Donald Trump, nombreuses fois victime, dénonce la pratique comme une forme de totalitarisme incompatible avec la culture américaine. Il y voit une arme pour contraindre au silence et instaurer une idéologie opprimante de la liberté d’expression. Une arme, prétend-il, que ses adversaires politiques auraient utilisée pour lui porter préjudice.
Tout n’est pas totalement noir dans la cancel culture si l’on remonte à son origine. Celle-ci est apparue dans le sillage de #MeToo lancé en 2017 aux USA avec l’affaire d’Harvey Weinstein qui a maintes fois été traduit en justice suite aux témoignages de femmes pour agressions sexuelles soit en gestes, paroles ou actions.
Le processus d’annulation peut s’enclencher de diverses façons ainsi que pour différentes raisons, mais surtout dans tous les milieux possibles. Politique, sociale, artistique, la cancel culture n’a aucune limite.
La cancel culture peut-on en échapper ?
La cancel culture, devenu un souci, mondial est pour certains incontrôlable et jugé indésirable. Le professeur Pierre Barrette, directeur de l’école des medias à l’Université du Québec à Montréal, pense que c’est le symptôme de quelque chose de fondamentalement positif, c’est le symptôme d’une prise de conscience, de parole des gens qu’on a refusé la parole pendant longtemps .
Sans pour autant nier les dangers et les injustices causés lorsque certaines personnes l’utilisent à des fins malhonnêtes. Cependant, il conclut que le mieux serait un dialogue entre les acteurs en opposition. « Les gens qui pratiquent la cancel culture doivent apprendre à faire avancer leurs points de vue par la confrontation tout en prenant en compte le point de vue adverse, et non chercher à se faire justice eux-mêmes. Ils ne doivent pas penser être les seules à toujours avoir raison », a suggéré le professeur.
Rose L. FATAL