
Opposés sur la construction du gazoduc Nord Stream 2 destiné à acheminer du gaz naturel russe en Allemagne, via la mer Baltique sans passer par l’Ukraine, Angela Merkel et Joe Biden se sont entendus à éviter que la Russie en fasse une arme contre l’Europe.
Au menu de leur rencontre à la Maison Blanche, le jeudi 15 juillet 2021, figurait le gazoduc Nord Stream 2 dont la construction devrait s’achever le mois prochain. Le président Joe Biden y a notamment exprimé à la chancelière allemande Angela Merkel ses préoccupations concernant le projet, l’objet de sanctions américaines sous la présidence de Donald Trump mais levées par l’administration actuelle.
« L’Allemagne, première économie d’Europe, n’avait pas la même opinion que les Etats-Unis sur le gazoduc », a déclaré Angela Merkel aux journalistes.
Toutefois, l’Allemagne et les États-Unis sont tous les deux opposés à l’utilisation de Nord Stream 2, comme une arme par la Russie, surtout contre l’Ukraine qui doit rester un pays de transit selon eux, et Mme Merkel a mis en garde la Russie en ce sens.
Lors d’une conférence de presse organisée après la rencontre des deux dirigeants à la Maison-Blanche, Joe Biden a déclaré : « Mme Merkel et moi-même sommes absolument unis dans notre conviction que la Russie ne doit pas être autorisée à utiliser l’énergie comme une arme pour contraindre ou menacer ses voisins », et la chancelière allemande a ajouté : « Nous agirons activement si la Russie ne respecte pas ce droit de l’Ukraine qu’elle a en tant que pays de transit », et « Nord Stream 2 est un projet supplémentaire et certainement pas un projet visant à remplacer tout type de transit par l’Ukraine ».
En prélude au sommet entre les présidents russe et américain Vladimir Poutine et Joe Biden, l’administration Biden a levé le 19 mai dernier, les sanctions que les États-Unis avaient imposées au projet du gazoduc Nord Stream 2, indiquant notamment que les sanctions américaines ont actuellement très peu de chances de porter fruit.
L’Europe vent debout contre les États-Unis
En effet, depuis 2017, Washington avait imposé une série de sanctions aux entreprises et aux individus participant à la construction de Nord Stream 2, dans l’objectif de la bloquer et de l’arrêter définitivement. « Lorsque je suis devenu président, le projet était achevé à 90% et l’imposition de sanctions ne semblait pas avoir de sens », a indiqué M. Biden, le15 juillet dernier.
« Washington s’oppose au NS2 (l’opposition n’a pas disparu, même avec la levée des sanctions) d’une part parce que celui-ci renforcera la dépendance européenne à l’égard du gaz russe et, d’autre part, parce que les exportations de gaz russe vers l’Europe sapent l’efficacité des sanctions frappant la Russie depuis 2014 en raison de la crise en Ukraine », analyse la doctorante en histoire des relations internationales, à l’Université catholique de Louvain, Sophie Marineau.
Un argument balayé par les défenseurs du projet qui y voient de préférence une tentative des Américains d’imposer à l’Europe l’achat de leur gaz « plus cher et plus polluant ».
Ces sanctions adoptées en 2017 par le Congrès et le Sénat américains, puis renforcées en 2019 par Donald Trump ont été dénoncées par la Commission européenne, et les autres pays européens bénéficiaires comme une « ingérence dans la politique énergétique de l’Europe ». La commission avait même menacé les États-Unis de mesures de rétorsion, s’opposant avec force à l’extraterritorialité des mesures américaines et à leur légalité « douteuse ».
Revendiquant son droit à développer des projets commerciaux, l’Allemagne dénonçait, quant à elle, « une atteinte à sa souveraineté, une ingérence dans ses affaires intérieures ».
Tandis que la Russie y voyait une tentative d’asphyxier son économie et dénonçait une « raquette et une violation du droit international ». « L’idéologie américaine ne supporte pas de concurrence mondiale ». « Bientôt, ils nous demanderont d’arrêter de respirer », avait déclaré la porte-parole de la diplomatie russe Maria Zakharova, tout en fustigeant qu’ « un État avec une dette publique de 22 000 milliards de dollars interdit à des pays solvables de développer leur économie réelle ».

Achevé à plus de 90%
Nord Stream 2 reliera Oust-Louga en Russie à Greifswald en Allemagne, via la mer Baltique sans passer par l’Ukraine. La construction des 1 230 km de tubes sous-marins de ce deuxième gazoduc reliant la Russie à l’Allemagne, est quasiment terminée. Seuls 121 km de tubes restent à installer dont 98 dans les eaux danoises et 23 dans les eaux allemandes. Car, depuis 2019, les sanctions prises par les États-Unis contre les entreprises européennes qui participent à sa construction empêchent son achèvement.
La Russie affirme que le gazoduc, d’un coût de 11 milliards de dollars (9,31 milliards d’euros), dirigé par la compagnie énergétique nationale Gazprom et ses partenaires occidentaux, sera achevé dans le courant de l’année. Et le PDG de Nord Stream AG, Matthias Warnig, a précisé, dimanche 11 juillet 2021, que la construction sera achevée cet été. « Nous pensons que sa construction sera achevée d’ici à fin août », a-t-il déclaré.
Nord Stream est un projet industriel européen, un gazoduc d’une capacité de 55 milliards de m3 de gaz par an et d’un coût d’environ 10 milliards d’euros visant à « doubler les livraisons directes de gaz russe vers l’Europe, via l’Allemagne, la principale bénéficiaire, en contournant l’Ukraine.
Le gazoduc géré par le géant gazier russe Gazprom, son propriétaire et financé à moitié par les sociétés allemandes Uniper et Wintershall, l’anglo-néerlandaise Shell, l’autrichienne OMV et la française Engie. Son déploiement mobilise des entreprises russes et occidentales telles Total, Allseas(Suisse). Tous les partenaires européens s’étaient retirées du projet par crainte des sanctions américaines.
Le projet de la discorde
Controversé depuis son élaboration, Nord Stream 2 alimente une bataille économique et géopolitique entre les États-Unis et l’Europe et suscite la discorde entre les pays européens en opposant le camp des pro au camp des contre.
Les premiers plaidant les avantages que l’Europe en tirera notamment une économie de 50 % sur les frais de transit et un accès au gaz à meilleur marché. Le gaz liquéfié américain coûtant deux fois plus cher que le russe et polluant autant que le charbon.
Les seconds notamment l’Ukraine et la Pologne défendant leurs frais de transit qu’ils vont perdre et dénonçant une trop grande dépendance européenne de la Russie ainsi que l’accroissement de l’influence russe.
Un argument jugé « malhonnête » par les partisans de Nord Stream 2. « La fin de Nord Stream est le commencement du gaz liquéfié américain. C’est plus cher et plus polluant, mais c’est du commerce avec les États-Unis », réplique l’eurodéputé Markus Piepper(PPE).
18% du gaz européen transite par l’Ukraine. Les frais de transit perçus représentent 3% de son PIB annuel. Ce qui fait d’elle le principal perdant et justifie son soutien à l’offensive et aux sanctions américaines.
Des intérêts communs à l’Ouest et divergent à l’Est
Alors que l’Allemagne, principale bénéficiaire sera assurée d’accomplir sa transition énergétique radicale dans laquelle elle s’est engagée, pourra renforcer son rôle de hub gazier de l’Europe avec un pouvoir de redistribution, la Russie, elle, gagnera en prestige, selon l’expert russe Mikhail Kroutilhine.
Konstantin Simonov, directeur du fonds national russe pour la sécurité, ajoute que la Russie fera une économie de 1900 km, lui permettant de réduire considérablement les coûts d’exploitation.
Éviter l’Ukraine, une affaire économique et politique. Avec à la clé un approvisionnement soutenu de l’Europe, loin des interruptions générées par les tensions récurrentes entre Kiev et Moscou, soutiennent les partisans du projet Nord Stream 2.
Graham G. HENRY
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[…] construction du gazoduc de la discorde, Nord Stream 2, est enfin terminée. Son opérateur, le géant Gazprom, dans laquelle l’État Russe est […]
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