Les relations haïtiano-américaines : « tutelle ou diplomatie » ?

Commerciales au départ, les relations haïtiano-américaines ont évolué jusqu’à parvenir au niveau diplomatique. Ce 28 juillet 2021,  après 106 ans de la première occupation militaire américaine de la République d’Haïti, les relations du pays avec les États-Unis s’assimilent à une  « tutelle » pour la plupart des Haïtiens tant la « mainmise » américaine sur la politique et l’économie haïtienne est considérée « pesante et incontournable ». Les Haïtiens voient la main des Américains en tout.

« Les relations haïtiano-amercaines ont été d’abord de base économique et sociale », estime l’historien Dr Léon  D. Pamphile. Dans son ouvrage intitulé Les racines des relations haitiano-américaines, il fait ressortir les premiers contacts relationnels des États-Unis avec l’ile.  Déjà en 1788, Toussaint Louverture échangeait des lettres avec le consul américain Edward Stevens logé au Cap Haïtien.

Ces échanges épistolaires ont débuté par une lettre de Toussaint Louverture au président du congrès américain de l’époque John Adams, où ce chef révolutionnaire haïtien a pris soin d’inviter les États-Unis à entamer des échanges commerciaux avec la colonie. Ensuite suivie de la réponse favorable suivante d’Edward Stevens au congrès : « Sans la réussite de Toussaint, tous les arrangements commerciaux que nous avons pris seront vains. Le traité le plus solennel n’aurait que peu de valeur en présence d’un homme d’un tempérament aussi capricieux et tyrannique comme Rigaud.»

Essentiellement commerciales sous le règne de Dessalines

Les relations haïtiano-américaines ont continué sous le gouvernement de Jean-Jacques Dessalines, le Père de la nation. Elles ont été essentiellement commerciales. La République d’Haïti échangeait, alors,  des produits tropicaux (café, sucre, etc.) avec les États-Unis contre des armes et munitions pour parer à une éventuelle reconquête du territoire par la France, l’ancienne puissance coloniale chassée au prix de rudes combats et capitulant après l'”épique et héroïque Bataille de Vertières, la plus grande défaite de l’armée esclavagiste de Napoléon Bonaparte. En 1808, le commerce assurait aux États-Unis 40 à 50 millions de livres de café par an, qu’ils déversaient après en Europe à un prix empêchant toute concurrence.

Après l’indépendance nationale en 1804, les pro esclavagistes du Sud des États-Unis se sont sentis menacés. Menacés dans la mesure où, cette indépendance a défié toute la normalité de l’époque et surtout parce qu’elle a été le fruit d’une révolution d’esclaves noirs contre la puissante armée coloniale française de l’époque. De peur que cette indépendance influence les esclaves du Sud des États-Unis, les Américains décrétèrent  un blocus commercial sur  Haïti le 28 février 1806 et refusèrent de reconnaitre son indépendance jusqu’en 1862.

Devenues militaires en 1915

En plus des relations économiques, les deux pays  ont entretenu des relations  militaires. En 1915, les crises socio-politiques ont poussé les États-Unis à faire  une intervention militaire  en Haïti. De 1915 à 1934,  Haïti a connu l’occupation des troupes américaines, qui avaient pour mission prétendue de rétablir l’ordre et la stabilité dans le pays. Cependant, les États-Unis  n’ont pas été le seul des deux pays à  envoyer des troupes militaires.

En 1776, alors que les États-Unis étaient en pleine quête de son indépendance, une troupe de 1500 hommes, affranchis pour la plupart ont laissé Saint Domingue – qui deviendra la République d’Haïti après l’indépendance de 1804 – pour aller combattre à la bataille de Savannah. Une bataille capitale dans la guerre de l’indépendance des États-Unis. Des années plus tard en 1812, le gouvernement de Pétion a envoyé un contingent de 150 soldats haïtiens à Chalmette  (New Orléans) pour aider les États-Unis dans leur seconde guerre contre l’Angleterre.

En ce qui concerne les relations diplomatiques, Haïti et les États-Unis entretiennent des relations diplomatiques bilatérales. Les deux pays connaissent à présent deux siècles environ de relations diplomatiques. Depuis 1862 date à laquelle les États-Unis ont reconnu l’indépendance d’Haïti,  le président américain Abraham Lincoln a nommé Benjamin F. Whidden à titre de diplomate américain en Haïti.

Les relations diplomatiques ont soufflert pendant 19 ans, le temps de l’occupation américaine en Haïti, mais 15 ans après elles se sont relevées suite à une déclaration conjointe en 1943. Le 14 mars de la même année, John Campbell White a été nommé premier ambassadeur extraordinaire plénipotentiaire américain en Haïti.

La fameuse doctrine de Monroe

De sa position géographique, Haïti rentre dans le champ de la fameuse doctrine de Monroe : « L’Amérique aux américains ». Afin d’éviter toute invasion des troupes européennes, le président américain James Monroe prononça un discours protectionniste en décembre 1923  qui empêche aux Européens d’interférer dans les affaires américaines et eux les Américains en feront de même.

En tant que première puissance du monde et du continent américain, les États-Unis se déclarent garants de la bonne marche et  de la stabilité de la région tout en favorisant des relations réalistes et amicales avec les autres États du continent. « Il est impossible que les puissances alliées étendent leur système politique à une partie de ce continent, sans mettre en danger notre paix et notre bonheur ; et aucune d’entre elles ne peut croire que nos frères [d’Amérique] du Sud, s’ils le pouvaient, l’adopteraient de leur propre gré. Il nous serait donc également impossible de rester spectateur indifférent de cette intervention, sous quelque forme qu’elle eût lieu », soutient le président James Monroe dans son discours.

La République d’Haïti et les États-Unis entretiennent des relations qui s’apparentent de plus en plus à une tutelle encore plus prononcée depuis la chute de la dictature de Duvalier père et fils en 1986, remarquent certains historiens. Autant les Américains s’immiccent dans les affaires internes d’Haïti, autant les dirigeants et hommes politiques haïtiens recherchent l’aval de ces derniers et s’en remettent à leur choix et décisions.

En Haïti, chacun cherche son blanc, chacun a son blanc, s’amusent à dire les analystes politiques.

VSovensky W. JOSEPH

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