Le konbitisme, une expression forte de l’âme haïtienne

Parmi les nombreux traits qui constituent l’âme haïtienne, la solidarité dans le besoin en est un. Cette solidarité proverbiale est caractéristique de la vie communautaire dans les régions rurales du pays. Le plus connu est le konbitisme ou konbit.

L’angélus sonne. C’est l’heure pour Ludovic, 52 ans, de commencer son « konbit ».Cultivateur et habitant de Bouyara, une section communale de Saint Raphaël, Pierre Ludovic est propriétaire de 2 hectares 29 de terre, entièrement cultivée de maïs et de patate. Aujourd’hui, à Zakasya, il reçoit sur son domaine douze paysans pour le sarclage de son jardin.

Il est à peine 5h30 du matin. Cependant, tout était déjà fin prêt pour débuter le « konbit » de Ludovic. Les paysans invités à cette corvée se trouvaient, un quart d’heure avant dans le champ, à attendre l’arrivée de l’hôte.  Antoinette, la femme de Ludovic salua les travailleurs, avec une tasse de thé de citronnelle bien chaud servi avec un morceau de biscuit fendu qu’elle avait préparé un peu plus tôt. Tous venant de quartiers plus éloignés que d’autres se régalent de leur petit déjeuner. Munis des matériels de travail dont machettes, haches, pioches entre autres, ils s’apprêtent à embrasser leur besogne. Rien que dans une demi-journée, ils se disent pouvoir terminer leur labeur.

Eparpillés sur toute l’étendue du champ cultivé, chacun s’approprie d’un lopin de terre. Au gré de chants et de blagues hilarantes, ils avancent. Ils extirpent, abattent, arrachent les mauvaises herbes, parcelle par parcelle. Entretemps, madame Ludovic prépare le diner.

Ludovic, lui, d’un autre côté,  sert à ses employés bénévoles quelques patates, boucanées la veille, accompagnées de tranches d’avocat. Dans un bref silence, surgit une voix :« Ludovic où est l’alcoolJe ne fais pas de Konbit sans alcool non. Sans quoi, je n’aurai pas assez d’énergie pour travailler. Apporte nous-en camarade. On l’attend pour nous revigorer», enchaine-t-il. Et Ludovic de s’empresser de répondre automatiquement à la demande en faisant passer, à la fois, deux carafes d’alcool « Saint-Michel » que les invités dégustent de plusieurs coups, l’un après l’autre.

Cette ambiance entretenue d’alcool, de blagues et de chants a demeuré pendant 4h environ jusqu’à ce qu’Antoinette appelle son mari à le rejoindre pour convoquer le contingent paysan à la table de recréation. Ils ont copieusement consommé chacun un plat chaud de maïs blanc, de purée de pois noir et d’une couronne de légumes de feuilles, tous achetés au marché local.

Après ce moment de sérénité où l’on peut sentir tout le dynamisme de la solidarité rustique, et par ricochet celle de toute la nation haïtienne, les paysans se sont remis à l’œuvre. L’horloge marqua 13h et demi à peu près, et ils avaient déjà fini leur travail.

En attendant le tour d’un autre de la compagnie, Ludovic s’est dit satisfait de cette journée et promet de répondre, tour à tour, à l’appel des douze, une fois le besoin se fait sentir. 

Le Konbitisme une philosophie pour développer Haïti 

Le Konbit est cette réalité paysanne qui traduit la philosophie du« vivre-ensemble » en Haïti. Il tire ses racines dans les us et coutumes haïtiennes. D’après un anthropo-sociologue haïtien, il part du principe généreux d’entraide des populations qu’il faut mettre en exergue pour promouvoir l’unité de peuple indispensable au développement.

De « Konbit » à « Konbitisme », l’anthropo-sociologue rapporte que cette solidarité dans l’âme haïtienne a connu une évolution remarquable au lendemain du 7 février 1986, avec le départ de Jean-Claude Duvalier. «Tout le peuple avait exprimé haut et fort son désir de s’unir pour construire une Haïti digne et forte. Tout s’appelait Konbit. Pour tous, le mot Konbit signifiait alors union, participation, coopération, bâtir ensemble…En résumé FAIRE-ENSEMBLE », a-t-il indiqué.

Ce dernier qui en a appelé à la conscience citoyenne du peuple haïtien, croit qu’aujourd’hui le retour à ces pratiques pouvait aider dans le développement du pays. Selon lui, « Cela requiert la participation des résidents de chaque localité, de sa jeunesse trop souvent dispersée et démobilisée […] désireuse de contribuer au développement du pays, en particulier de son coin de terre natale ».

Clashisky D. LAROSE

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